Adresse au 36ème
du Parti Communiste Français
Chers camarades de
France
Chers invités du
monde
Le Mali est en
guerre, une guerre dont nous ne voulons pas mais qui nous a été imposée essentiellement
par des forces étrangères à notre pays. Il s’agit d’une immense tragédie
pour notre peuple. Nous savons qu’elle n’en est malheureusement qu’à ses débuts.
Nul ne sait quand elle prendra fin.
Nous savons qu’il
y a entre vous, amis du Mali de France, tout comme entre camarades maliens, de
nombreux et difficiles débats à ce sujet. Les communistes français et surtout
le peuple français ont été des amis de toujours du Mali. Combattre l’avancée
des djihadistes vers le sud a provoqué chez vous beaucoup de débats, des
interrogations. Mais sachez qu’il en est de même chez nous, au Mali. Nous avons
les mêmes débats, les mêmes interrogations, les mêmes inquiétudes.
Dans un premier
temps, nos populations étaient très en colère parce que tout se décidait en
dehors d’elles, en dehors du Mali. Nous nous sommes sentis humiliés et révoltés
par tant de mépris. Nous savions que toutes les décisions se prenaient à Paris,
à Abidjan, à Ouagadougou et ailleurs, jamais à Bamako et cela continue toujours.
Cela est inacceptable. Et nous avons apprécié les voix qui nous ont soutenus
contre ces atteintes graves à notre souveraineté en tant que pays, en tant
que peuple concerné au premier chef par ce qui nous arrive de par le complot
tramé contre notre peuple avec la bénédiction de certains de ses fils et de ses
dirigeants. Nous étions et restons confrontés à une dure réalité, à un piège
mortel qui se renfermait sur nous. Nous sommes des militants qui détestons la
guerre, surtout celle-là qui nous est imposée aujourd’hui et à un moment où
nous avons été affaiblis et désarmés pendant deux décennies par un régime
corrompu, présenté à tort comme une démocratie exemplaire alors qu’il n’en était
rien. Cela faisait partie de la mise en scène orchestrée par les tuteurs occidentaux
des démocraties africaines.
Face à l’avancée
brutale des djihadistes, sans intervention extérieure, nous risquions d’être
complètement anéantis. Nous n’avions plus le choix devant l’imminence du
danger. L’intervention militaire française a été alors ressentie comme un
soulagement par nos populations, même si nous étions contre par principe, même
si elle ne règle pas les questions fondamentales et pose problème quant à ses
fins ultimes.
Camarades de
France et du Monde,
le 36ème Congrès du Parti Communiste Français intervient
à un moment de crise généralisée du capitalisme mondialisée qui génère des tragédies
un peu partout dans le monde.
En France, en
Europe et ailleurs, elle a causé bien de drames qui font payer lourdement aux
travailleurs les conséquences des politiques qu’ils n’ont jamais cautionnées. Un
peu partout dans le monde et surtout en Afrique, les conséquences des
politiques prédatrices du FMI et de la Banque Mondiale ont occasionné des
guerres imposées aux populations traumatisées face aux incertitudes du
lendemain. La crise au Sahel et la guerre actuelle dans le nord du Mali en est
la triste illustration. Une lecture simpliste la dépeint comme un simple
affrontement, un "choc entre civilisations" et une "lutte
contre le terrorisme transnational islamiste" imposant à l’occasion
une causalité unique, une vision dualiste du monde nourricière d’encore plus de violences.
Le drame actuel au
Sahel et ses conséquences au Mali ne sauraient être appréhendés sans l’éclairage
géopolitique et géostratégique des convoitises que suscitent les immenses ressources
de son sous-sol auprès des multinationales occidentales notamment françaises en
ce qui concerne le pétrole et l’uranium entre autres. Telle est la trame véritable
de la guerre actuelle imposée au Mali par les "fous d’Allah" et les
"fous du Saint Profit" au nom de la Charia, des trafics de drogue et
d’otages, au nom du pétrole, de l’uranium et du Capital.
Si l’intervention
française au Mali a été momentanément saluée par la grande majorité des
populations maliennes désarçonnées par l’avancée brutale des djihadistes vers le
sud, l’arrêt tout aussi brutal de la reconquête du territoire national par l’armée
malienne, aux portes mêmes de Kidal, suscite bien des interrogations sur les arrières
pensées, les non-dits de cette intervention. Les chaudes déclarations d’amitié
des autorités françaises à l’égard de certains touaregs, l’alliance de fait
avec la rébellion ultra minoritaire du MLNA non représentative de l’écrasante
majorité des communautés touaregs tout aussi opposées à la guerre et à la
partition du pays, l’accompagnement militaire imposant par l’armée tchadienne des
armées françaises, nous imposent davantage de circonspection quant aux
affirmations de désintéressement de la France. Ce qui se trame aujourd’hui à
Kidal finira certainement par déchirer les voiles de l’hypocrisie et du
mensonge quant aux visées réelles des interventions étrangères au Mali,
qu'elles soient françaises, européennes, africaines ou sous mandat de l’ONU.
L’intervention au
Nord Mali ne vise pas seulement la sécurisation des approvisionnements énergétiques
et autres des puissances occidentales, notamment de la France. Du même coup,
elle remet en selle et réconforte un régime, des institutions, des hommes et
des femmes, un système politique et une démocratie totalement corrompus et impopulaires
et qui ont une responsabilité lourde dans le désastre dont aujourd’hui notre peuple
est victime.
L’insistance avec
laquelle le recours aux élections dans les délais les plus rapides est exigé
par les occidentaux témoigne beaucoup plus de leur impatience à donner un
vernis de légitimité à des élites prédatrices à leur solde. La question de la faillite
même de l’Etat malien, la nécessité de son assainissement et de sa reconstruction
sur des bases populaires et réellement démocratiques ne sont point inscrites
dans la feuille de route de la Transition qui nous est dictée. La création d’une
force d’interposition africaine puis sous mandat onusien finira par boucler la
boucle de l’ordre ultra libéral d’accès total aux richesses du sous-sol malien
que l’on veut imposer aux peuples du Mali, d’Afrique et d’ailleurs.
Comment ne pas
comprendre alors que la guerre au Mali n’est que le prolongement de la compétition
féroce entre deux impérialismes alliés par ailleurs aujourd’hui en Lybie et en Syrie,
l’un classique et aux abois, occidental, et l’autre nouveau et conquérant,
celui de l’impérialisme arabo-salafiste incarné par les pétro-monarchies du
Golfe comme le Qatar et l’Arabie saoudite, fossoyeurs des libertés de leur
propre peuple et bailleurs de fonds des économies occidentales en perdition.
Par ailleurs, on
parle du Mali, on prétend venir à son secours, mais on refuse en même temps la
parole à son peuple, le libre choix de ses populations pour décider en toute souveraineté
de leur propre destin.
Camarades de France
et du monde,
les relations de
solidarité et de fraternité entre le Parti Communiste Français et les forces de
gauche en France et au Mali ne datent pas d’aujourd’hui. Elles sont restées
constantes et ne se mesurent point en nombre de barils de pétrole et de tonnes
d’uranium extraits ou à extraire du sous-sol malien.
Je voudrais, à
cette occasion, exprimer à l’endroit du Parti Communiste Français et du Front
de Gauche toute la reconnaissance des forces patriotiques maliennes organisées
au sein du Mouvement populaire du 22 Mars (MP 22) et de la Coordination des
Organisations Patriotiques du Mali (COPAM) et, au-delà, pour leur soutien constant
et multiforme, solidaire des mêmes visions et des mêmes espérances que nous
nourrissons pour l’Humain en Europe comme en Afrique et partout dans le monde.
Nous avons les mêmes
défis à relever, le même combat à mener en Europe, en Afrique, en Amérique
latine, en Asie et partout ailleurs. Nous avons face au Capital le même destin.
Nous devons tisser une solidarité de combats entre peuples du Nord et du Sud,
entre femmes et hommes, entre jeunes et vieux, entre Humains.
Des coopérations
et des solidarités concrètes sont à construire. Je pense aux coopérations entre
villes à renforcer, entre jeunes, entre les établissements scolaires et universitaires,
associations de femmes, intellectuels, clubs sportifs, artistes, couches
sociales et professionnelles. Nous avons besoin aussi de solidarités politiques
et nous vous remercions d’avoir entendu nos colères et nos volontés de
souveraineté, perçu et partagé nos évolutions face aux dures réalités. Merci de
continuer ensemble !
Je voudrais, en
guise de conclusion, évoquer devant vous une complainte, celle de «Tinèni»
("la petite carpe" en langue bamanan), tirée d’un conte du terroir
malien. Un jour, au cours d’une rencontre générale entre tous les êtres, chaque
créature essaya d’écrire le drame de sa condition. Quand vint le tour de «Tinèni»,
elle évoqua, les larmes aux yeux, la tragédie qui était la sienne. Elle décrivit
le monde comme une jungle où les plus forts dévoraient les plus faibles en
toute impunité. Son destin à elle n’était pas seulement de finir en friture. Le
plus cruel vient, dit-elle, quand une fois frite, on la prend par la queue pour
la croquer par la tête à belles dents, en la fixant droit les yeux dans les
yeux.
Il nous faut en
finir au Mali, en Afrique et ailleurs avec le destin des «Tinèni». En France,
au Mali, en Palestine, au Kurdistan, en Amérique latine, en Asie, en Europe et
partout dans le monde, les peuples doivent se donner la main pour construire
ensemble des alternatives populaires aux camisoles de force imposées ici et là
par les puissances d’argent.
Le chemin de la
paix et de la solidarité est long et difficile. Pour y parvenir, il nous faut réinventer
l’avenir.
Alors pour cela
osons ensemble "rallumer les étoiles".
Plein succès au 36ème Congrès du Parti Communiste Français.
Je vous remercie
Paris
le 09 Février 2013
Pr
Issa N’DIAYE